mercredi 27 juin 2007

Une conséquence sans cause : réflexion sur un certain cinéma japonais



A croire qu'en période estivale, je ne m'intéresse qu'aux relations logiques... Rassurez-vous, les interrogations cinématographiques sur les processus « orphelins de causalité » (sic ;) ) ne sauraient durer, sans créer entre eux une sibylline parenté, vous éclairant sur la « logique » d'ensemble de cette réflexion.



Comme beaucoup d'autres cinémas, le cinéma japonais ne tient pas toutes ses particularités dans sa seule appartenance nationale. Néanmoins son histoire, ses traditions et particularismes sociaux fournissent un ensemble qui ne trouve aucun reflet dans les autres productions cinématographiques. Il faut s'attacher pour débuter cette réflexion à un genre précis : le ninkyo-mono. Sous cette appellation il faut comprendre cet ensemble de films mettant en scène des yakuzas et présentant divers aspects de l'organisation criminelle japonaise.

Le ninkyo-mono ne s'apparente en aucun cas au mob-movies, en effet même si les deux genres reprennent le cadre d'organisation criminelle empreinte de codes et de valeurs anciennes, ils semblent s'opposer. En effet les mob-movies misent toute leur intrigue sur une causalité accrue, en effet aucun acte n'est jamais gratuit, ne se déroule hors d'une conséquentialité impérieuse ; il en est tout autrement en ce qui concerne le pendant nippon. Ce dernier semble opposer à des scènes paisibles une suivante criante de violence. Le spectateur ne sait donc où trouver le lien de l'une à l'autre. Cette absence de parenté d'une scène avec l'autre (ajoutez à cela leur succession très rapide) accentue la violence d'un acte qui ne peut qu'être apprécié à l'orée d'une gratuité cruelle. De même, toutes les actions précédentes ne sauraient expliquer l'acte violent qui sonne donc seul, sorte de fausse note dans une calme mélodie, et qui finit par recouvrir cette dernière de sa sonorité si singulière. Takeshi Kitano est assurément un de ceux qui a le plus exploité cette gratuité de l'acte violent. Les exemples affluent, mais retenons un film comme Jugatsu, où une scène heureuse laisse place à une séquence hyper-violente. Le passage à la cruauté ne s'opère pas par une dégradation de la situation entre les personnages, mais par un changement de plan subit, aussi vif qu'un coup de révolver, à laquelle succède une scène revenant à la normalité, ne laissant aucune trace de la précédente. Un film comme Aniki, mon frère, reconduit ces constatations d'hyper-violence absente de causalité, tant une réaction en appelle une autre, si souvent démesurée, que la logique censée les relier, semble s'être évaporée.

Gratuité qui recouvre même l'interaction entre les personnages, lesquels sont souvent soumis à l'arbitraire d'un autre. Ce dernier, fort et persuasif leur font souvent réaliser des actes ignobles et ensuite les punit pour l'ignominie commise. Cette figure personnifiée de l'arbitraire se transfigure encore une fois avec le personnage de Uehara joué par Kitano dans Jugatsu, forçant son compagnon à commettre un acte odieux (violer sa propre femme -celle de Uehara-) qu'il punira ensuite d'une façon tous aussi abominable. Cette métaphysique de la gratuité se dégageant de ces films, se manifeste bien souvent en créant une victime se désignant elle-même comme telle, et se métamorphosant en un bourreau implacable à la scène suivante. Schizophrénie abjecte qui fascine par ce cheminement hors des sentiers de la raison et de la sainte Logique, où le thanatos ne semble être que la seule règle à laquelle on puisse se référer en dernière instance.

mardi 12 juin 2007

Le Janus ubiquiste de Guillermo Arriagua



Guillermo Arriagua n'a pas fini de susciter mon attention, et voici avec un titre tout aussi étrange, une nouvelle note à propos de son travail dans les films précédemment présentés. Dans la Némésis inconnue je tenais à mettre en perspective une certaine unité d'action présente dans ses films. Une unité comprise dans une forme structurelle et non en son thème, en son contenu ; un point de touche dans l'action des personnages qui se laissait appréhender comme un rapport commun au monde, aux événements. En effet, chacun avait sa vie, son identité, sa fonction, mais tous se retrouvaient en ce rapport à la vie orphelin de la causalité, de la conséquence, de la logique. Mais les scénarios de Guillermo Arriagua n'ont pas qu'un rapport avec le théâtre dans ce remaniement de l'unité d'action, mais aussi dans celui de l'unité de temps et de lieu. La conception de l'agencement spatio-temporel atteint une forme de gigantisme délivrant encore une fois ce paradigme d'humanité propre à cet auteur.

Rappelons-nous les paroles d'Hugo dans sa Préface de Cromwell de 1827 qui nous expliquaient que la vraisemblance ne pouvait souffrir que tous les événements se déroulent en un lieu, qu'ils ne pouvaient pas nous plus être condensés en vingt-quatre heures. Ainsi avec Guillermo Arriagua les événements entrelacés se déroulent aux quatre coins d'une même ville ou bien encore du monde. Les événements s'entremêlent faisant fi des kilomètres, la durée diluant la distance. Chaque action fait écho à une autre se déroulant en un autre lieu, en un autre instant. C'est bien là que se situe ce gigantisme qui créé une sorte de logique interne à ces événements, les bouclant les uns aux autres et ce, hors de toute proximité ou continuité. Entrelacement baroque, si je puis dire, qui ne suffit pourtant pas à donner de visage, de justification à la Némésis évoquée plus tôt, comme si le noeud qui tentait d'être contenu, ne cessait de s'emmêler à outrance, ou bien de se délier sans raison. Gigantisme qu'un titre comme Babel évoque si bien, le spectateur se trouvant tout au long du film au sommet de cette tour, ayant un regard plongeant, suprême sur tout événement pour finalement chuter inexorablement et n'ayant pu que constater sans avoir pu rester assez longtemps en surplomb pour expliquer.

Temps privilégié qui nous offre le constat d'une humanité qui par-delà distance et durée offre encore une fois la preuve de sa même structure. On se retrouve bien tel un Janus ubiquiste, voyant chaque action, en chaque lieu, du passé comme du futur, mais ne pouvant finalement jamais fixer notre regard face à elle pour les saisir de façon suffisante. Autrement dit, malgré l'entrelacement, cette humanité ne parvient jamais à défaire le noeud ou à le reboucler, elle ne peut, à la manière du spectateur, que constater sans jamais comprendre. Elle ne reste qu'une victime de cette Némésis inconnue, elle, qui a réussi à se maintenir au sommet de la tour abolie.